Groupama dans la Volvo Ocean Race : On refait la nav ! / Catalogues
A l'issue de la deuxième place acquise entre les Maldives et Sanya, Charles Caudrelier revient sur ce parcours difficile tandis que Cyrille Douillet analyse les performances comparées des six VO-70 de la Volvo Ocean Race, au tiers du parcours...
Charles Caudrelier, barreur et responsable performance sur Groupama 4
« Même si nous pouvons faire encore mieux, on est satisfait parce qu'on sent que nous sommes en train de prendre le bateau en main. Groupama 4 a un fort potentiel alors que d'autres concurrents savent déjà qu'ils ont un bateau moins performant. La première étape a été très difficile pour nous quand nous nous sommes retrouvés tout seuls : les conséquences en termes de distance étaient très importantes et ça nous a marqué. Lors de la deuxième étape, nous avons fait de jolis coups mais on a tout perdu à l'équateur sur un mauvais concours de circonstances. Nous avions un peu perdu en confiance : pour le navigateur et le skipper, c'est lourd ! Cela a peut-être pesé dans nos choix de non décalage par moment sur cette troisième manche et nous avons préféré rester au contact de Telefonica. Nous allons maintenant pouvoir être plus agressifs pour la suite...
Entre les trois sisterships dessinés par Juan Kouyoumdjian (Groupama 4, Telefonica, Puma), on ne sait pas exactement où sont positionnés les poids dans les bateaux. Les carènes sont un peu différentes et Groupama 4 est plutôt typé pour les allures de débridé-travers dans la brise, alors que les deux autres sont plus axés sur la VMG pour le près et le vent arrière. Côté appendices, nous avons un bulbe assez reculé avec un voile de quille incliné vers l'arrière alors que les deux autres bateaux sont un peu plus sur le nez que nous : dans les faibles vitesses, nous avons le tableau arrière un peu plus enfoncé et on traîne un peu d'eau en dessous de dix noeuds. Nous avons pu corriger ce petit défaut par la position des masses et la forme des voiles et désormais, Groupama 4 est plus polyvalent...
Sur cette étape au contact, nous avons découvert que les autres équipages utilisaient des voiles à des angles que nous n'imaginions pas : nous avons ainsi pu progresser en observant les voiles, leurs formes et leurs réglages lors des In-Port. La première partie de cette manche entre les Maldives et Sumatra n'a pas été très difficile puisque c'était un grand bord au près-débridé. Dans le détroit de Malacca, il a fallu beaucoup manoeuvrer dans des vents faibles, sur une mer plate. En revanche, la remontée vers la Chine après Singapour a été dure, surtout le long des côtes vietnamiennes, avec une trentaine de virements de bord en une journée : on était épuisé ! Nous avons maintenant quelques jours de repos à terre après deux jours de debriefing : on reprend les entraînements dès lundi prochain avec Thierry Péponnet, notre coach. »
Cyril Douillet, analyste performance à terre
« Nous n'avons pas fini d'apprendre ! Et c'est très spécifique à la Volvo Ocean Race : on progresse plus pendant la course que lors des deux années de préparation. 60% de l'optimisation est acquise pendant la course. L'important est de savoir si on progresse plus que ses concurrents, ce qui semble être le cas pour Groupama 4.
Jusqu'à présent, Telefonica était relativement dominateur mais au fur et à mesure, on se rend compte qu'il est tout à fait prenable. Il y a le bateau bien sûr, mais aussi les choix du navigateur et la qualité de l'équipage, ce qui rend difficile l'analyse entre les différents paramètres de la vitesse. Cette étape bord à bord a été fructueuse en informations et le classement général reflète assez bien le niveau des bateaux sachant que nous n'avons pas encore vu toutes les conditions, notamment celles que nous espérons avoir sur Groupama 4, c'est à dire le débridé dans le medium fort.
On sait que Camper est un peu à la traîne au vent de travers mais très rapide au près. Puma est plutôt irrégulier alors que Telefonica est constant à toutes les allures. Mais les performances restent extrêmement proches ! L'équipe espagnole est solide, avec un palmarès intéressant mélangeant l'olympisme et l'offshore. Le team français est plus multiculturel, ce qui prend un peu plus de temps pour que tout devienne fluide.
A chaque fin de quart, l'équipage prend des notes que j'épluche à l'arrivée des étapes pour les faire correspondre avec les données de performance. Sur cette troisième étape, le fait d'être au contact a permis à l'équipage de faire des essais en mer sur les réglages d'appendices, sur les configurations et les réglages des voiles. Cela permet d'affiner et de valider ce qui fonctionne le mieux. A bord, il y a plusieurs outils qui collectent 80 variables par seconde. Nous avons des logiciels qui permettent d'analyser très finement les performances pour les intégrer dans une base de données. L'objectif est de fournir des abaques (données de réglages) qui facilitent le choix de la voilure la plus adaptée aux conditions de navigation du moment : structure du vent, état de la mer...
L'approche de Franck Cammas est différente de celles des autres équipes. De par son cursus, il est très impliqué dans la recherche de la performance. Cela met la barre très haut, et développe une approche scientifique. Nous ne pouvons pas tout prendre à la lettre, parce que la collecte de données est dépendante des capteurs, comme la girouette qui est perturbée par le clapot et les voiles. Il faut de plus prendre en compte le feeling et le retour de l'équipage. C'est très important.
Au niveau de nos concurrents, Abu Dhabi est très fort sur les régates In-Port, mais moins à l'aise au large. L'équipage est très expérimenté, mais il a manqué de temps de préparation. Je pense que leur progression n'est pas aussi rapide que celle des leaders. Quant à Camper, le team bute légèrement dans sa courbe de progression. Il a passé beaucoup de temps à faire du près dans la brise, allure où le bateau est très à l'aise, avec 2-3° de cap de plus que tout le monde. Mais le bateau manque de puissance et a du mal à allonger la foulée au débridé. Mais attention, c'est une année à Niña (phénomène climatique ayant pour origine une anomalie thermique des eaux équatoriales de surface de l'océan Pacifique centre et est caractérisée par une température anormalement basse de ces eaux) et les conditions générales sur le tour du monde ne seront pas forcément celles des autres éditions !
Quand à Telefonica, il possède 24 points d'avance sur Groupama 4. Or nous n'en sommes qu'au tiers de la course : l'équipage est sur une phase de progression qui laisse encore très ouvert le résultat jusqu'à l'arrivée à Galway au mois de juillet. Nous allons commencer la semaine prochaine à explorer la manche vers Auckland après avoir analysé cette dernière étape : nous allons choisir le jeu de voiles en fonction des conditions attendues. Il faut aussi que nous estimions le temps qu'elle va durer pour l'approvisionnement du bord, et le climat général pour essayer de gagner du poids... »